Agents Troubles

Sur le littoral de la Normandie, la préparation du débarquement du 6 juin 1944

posté le mardi 09 juin 2015

Où l'on découvre les ressorts de la terrible machination…

On vit une masse à peine plus sombre que la nuit se découper dans le ciel, se déployer comme un oiseau de mauvais augure au-dessus de la prairie, puis, dans un épouvantable bruit de tôles froissées, de mécanique forcée, s’effondrer sur le sol meuble.

 

L’avion — un vieil Hudson de la fameuse escadrille 161 — roula sur la piste impromptue en grinçant abominablement ; on s’attendait à tout instant de voir ses ailes se désagréger, la carlingue éclater sous la pression de cette formidable violence qui s’imposait à l’avion malmené. Mais rien de tel ne seproduisit : l’oiseau d’acier s’immobilisa en bordure de la forêt, à quelques mètres des premiers arbres.

 

Un homme bondit hors de la machine, agitant les bras ; c’était le signal. Bordemer aperçut les silhouettes des combattants de l’Ombre se diriger furtivement vers l’appareil, et pressa l’épaule de sa compagne :

 

  • « A vous Barbara. Bonne chance ! »

 La jeune femme s’élança aussi.

 

L’homme aidait à présent les passagers à monter dans l’avion. Les conditions rustiques ne permettaient pas de déployer les échelles, ni d’offrir à chacun les commodités d’un voyage d’agrément. Lorsque ce fut à son tour de monter à bord, il prit Barbara par la taille, et, d’une puissante pulsion musculaire, présenta ses épaules devant l’étroite ouverture pratiquée dans la carlingue. L’espionne eut un haut le corps et s’écria :

 

  • « Sparrow !
  • — Allez-y, Mademoiselle, montez…
  • — Lieutenant Sparrow ! Que faites-vous ici ? »

Ses sens avaient immédiatement identifié à ses façons l’homme qui l’avait aidée à se précipiter dans le vide plusieurs semaines auparavant, cet homme qui devait sauter avec elle et le sergent Doolittle pour participer à la mission qui leur avait été confiée par l’état-major britannique, l’homme que l’on avait cherché partout dans la campagne normande et à cause de qui tout un réseau de patriotes avait été anéanti.

 

Barbara comprit immédiatement que le lieutenant Sparrow n’avait pas quitté le Lyzzie qui les avait parachutés au-dessus du bocage. Il avait poussé ses compagnons dans le vide et s’était borné à rentrer à la base par la même voie. Pourquoi ? Avait-il succombé à la peur ? Avait-il agi sur ordre ? Tant de questions se bousculaient dans son esprit. Elle se révolta, tenta de se dégager de l’étreinte de celui qu’elle considéra maintenant comme le traître, mais l’homme ne lui laissa pas le loisir de réclamer des explications.

 

 

  • « Sorry, Mademoiselle. On n’a pas le temps… »

 

 

Il l’enfourna dans la machine avant de s’y hisser lui-même.

 

L’affaire n’allait pas en rester là, mais ce qui se dit à l’intérieur de l’avion qui quittait

déjà le terrain d’aviation improvisé dans un vacarme assourdissant, personne n’en sut jamais rien.

 

Sur les hommes restés en France, sur ceux qui demeureraient anonymes, et dont aucune citation ne viendrait signaler le courage, pèserait toujours une affreuse suspicion.

 


 
 
 

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